Nous y sommes presque ! Le décret a été signé par le premier ministre et celui-ci est paru dans le journal officiel le dimanche 17 Juin. Il ne reste plus que quelques jours avant son application au 1er Juillet et c’est désormais certain : la France passera bel et bien au 80km/h, sur l’ensemble des routes à double sens de circulation non munies d’un terre plein central.
Lors de l’annonce officielle en tout début de cette année, je n’avais pas voulu réagir dans la précipitation, à un moment où tout le monde trouvait la mesure -au choix- scandaleuse, inutile ou idiote, voire un mélange de tout ça mais sans réelle réflexion de fond.
Je profite donc de ce moment juste avant la mise en application, pour analyser se qui s’est passé ces dernières semaines que ce soit du côté des élus, des usagers et des associations qui les représentent. Du côté de l’exécutif on bombe le torse malgré une situation difficilement tenable. Voici donc le temps pour moi de donner mon avis d’enseignant de la conduite (ou plus simplement moniteur d’auto école) sur ce fameux passage au 80km/h qui aura fait couler beaucoup d’encre… et ce n’est pas terminé !
Sommaire :
Une histoire de poigne gouvernementale
Le choix d’une action de « choc » qui fait réagir tous les français
Start-up nation… Avec ses conséquences jusque sur la route
La mesure qui s’imposait d’elle-même !
L’impossible marche arrière
Une fronde aussi chez les élus
De la méconnaissance des différents mode de transport, le bilan du CISR
Sécurité rentière ? Vraiment ?
Un but à atteindre à tout prix : Moyens et méthodologie politique
Un sujet après l’autre : A qui le tour ensuite ?
Pédagogie inexistante & contre productivité en matière d’éducation routière
Vitesse pendant le permis probatoire et nécessité d’adapter sa vitesse aux conditions : les oubliés
Conclusion : Le mauvais combat ?
Une histoire de poigne gouvernementale
Le choix d’une action de « choc » qui fait réagir tous les français.
C’était prévisible : Suite à l’élection présidentielle de 2017 et l’instauration d’un gouvernement « nouvelle génération » cherchant à montrer qu’il avait la volonté (le courage ?) de faire bouger les lignes dans notre pays, la mise en place d’une mesure forte concernant la sécurité routière était évidente, ne serait-ce que pour marquer la différence par rapport aux précédents gouvernements qui n’ont jamais su drastiquement réduire la courbe de la mortalité sur nos routes, malgré une tendance plutôt positive ces derniers mois (baisse de 3.2% du nombre de tués sur l’année glissante à Mai 2018).
Quelle mesure choc alors ? Du genre qui sauve les vies : en conséquence de quoi personne ne peut moralement s’y opposer, pardi ! Ces 6 derniers mois, le premier ministre, Édouard Philippe, n’a cessé de le marteler dans les médias : la mesure est impopulaire mais elle sauvera 1 personne par jour ! C’est mathématique ! (Je reviendrai plus loin sur cet argument)
Et quelque chose qui sauve aussi radicalement des vies, comment ne pas être d’accord ?
De plus, avec ce gouvernement issu du « nouveau monde », il fallait un acte capable de montrer la volonté de fer de nos dirigeants… Sans toutefois s’attaquer en profondeur aux principes même de la formation initiale visant l’obtention du permis et son contenu, ou veiller à la qualité et l’accessibilité d’une formation pour tous par exemple…
Il faudrait voir à ne pas faire trop bouger les lignes non plus… et finalement ne pas changer grand chose à ce qui se faisait jusqu’ici. Dommage, car il y avait clairement une opportunité à saisir.
Start-up nation… Avec ses conséquences jusque sur la route
Il faut donc taper du poing sur la table et tenir pour montrer qu’on est puissant et qu’on est prêt à braver l’opinion publique, voire même le Sénat et nombres d’élus. C’est pour votre bien, vous voyez.
Mais en même temps, il ne faut pas contrarier certains systèmes en place comme le sacro-saint Contrôle-Sanction-Automatisé (CSA), dont on planifie désormais des objectifs à la façon d’une entreprise commerciale. Ou encore les forces de l’ordre auxquelles on préfère encore systématiquement faire tenir un radar et un carnet à souche plutôt que de leur donner l’occasion de faire de la vraie prévention et non pas de la répression déguisée. Dommage, car quand ils font de la sensibilisation, c’est souvent de façon remarquable. Pour le coup, pas grand chose ne change par rapport à ce qui était fait jusqu’ici.
Continuons également à entretenir le statu-quo concernant les auto-écoles comme je le disais plus haut, bien obligées de suivre à contrecœur (pour celles les plus axées sur la qualité de leur formation) la course au low-cost, ne serait-ce que pour survivre, avec des conséquences désastreuses pour les élèves. Une situation d’ailleurs de plus en plus fréquente.
20H pour apprendre à conduire, avec une qualité de formation « discount »… Pas sûr que ça soit le meilleur moyen de réduire la mortalité routière. (plus près des 30H en moyenne, mais avec l’objectif de toujours en faire le moins possible en raison du coût très élevé pour un passage pourtant indispensable).
Passons sur l’attribution des recettes des verbalisations des radars et à quel point il est regrettable qu’une part ne serve pas à aider les plus défavorisés à disposer d’une vraie formation de qualité. Les mêmes qui se tournent vers les formations « discount » que j’évoquais plus haut et qui calculent les heures au plus juste afin d’économiser le plus possible. Quid d’une vraie intégration de l’éducation routière au cursus scolaire, allant au delà d’actions sporadique. Vous le savez, c’est mon cheval de bataille.
Je pourrais aussi vous parler de ces motards de la police qui n’ont qu’une seule moto pour six faute de budget… quand le coût annuel d’entretien d’un radar équivaut presque au prix d’achat d’une moto !
La sécurité routière et tous ses acteurs doivent être gérés comme une entreprise, avec ses notions de rendements financiers, d’objectifs… Après tout, quoi de plus normal dans un gouvernement qui aimerait gérer le pays comme une start-up ?
Seulement voilà, certains domaines comme celui de l’éducation routière ne peuvent décemment pas coller à cette philosophie. Mathématique là aussi pour le coup.
La mesure qui s’imposait d’elle-même !
Non, finalement, une seule mesure collait à tous ces critères : la mainte fois reportée limitation à 80km/h sur l’ensemble des routes à voies non séparées par un terre-plein central du réseau secondaire.
Baisser la vitesse de 40% du réseau secondaire, ça, ça fait réagir les gens ! Et les pouvoirs publics ont des tas de chiffres pour mettre en avant la mathématique efficacité de sa mesure.
Les manifestations étaient inévitables, mais c’est aussi l’occasion pour nos dirigeants de faire une jolie démonstration de force.
Surtout que de façon tout aussi évidente, les premiers à monter au créneau ont été les plus virulents, FFMC et associations du type 40 millions d’automobilistes en tête.
Cette levée de boucliers était clairement attendue par l’exécutif, ce qui a presque servi de levier…
L’impossible marche arrière
Le mécontentement du « peuple » (voyez les résultats de n’importe quel sondage sur le sujet) était également à prévoir, mais puisqu’on leur dit que c’est mieux, aucune raison de protester. « C’est pour votre bien ! » « -400 morts ! Qui peut être contre ? » L’argument magique !
Alors voilà, entre les résultats d’une expérimentation de 2 ans passés sous silence au moment de la décision du CISR, l’incompréhension et l’impression d’être lésés une fois de plus, après la mise en place d’un contrôle technique renforcé depuis mai et les nouvelles normes anti-pollution déjà annoncées dans un contexte social déjà très tendu, tout ça commence à faire beaucoup pour les Français.
Même si l’exécutif maintient sa position coûte que coûte, la situation est très difficile pour le gouvernement comme l’analyse très justement Les Echos.
A un tel point qu’un rétropédalage peut être envisagé, mais sans supprimer complètement la mesure. Comme en laissant davantage de marge de manœuvre en matière de choix des vitesses au cas par cas par des instances composées d’élus locaux par exemple. Dans tous les cas, une suppression pure et simple du texte est inenvisageable.
Et si d’aventure le gouvernement venait à modifier le décret de façon à le vider de sa substance d’ici quelques mois, il serait facile de faire porter le chapeau à certaines personnes. Emmanuel Barbe a été fortement critiqué lors de son passage devant le Sénat, il semble tout désigné si le besoin s’en faisait sentir, de la même façon que le Ministre de l’intérieur que l’on sent sur la sellette. On se rappellera de cas précédents comme le départ de Frédéric Péchenard ou de Jean-Luc Névache, tous deux ex-délégués interministériels à la sécurité routière, un poste qui a toujours été fortement politisé.
Notez qu’un recours en annulation du décret a été déposé par deux associations, cependant il n’a que peu de chances d’aboutir.
Une fronde aussi chez les élus.
Après les associations d’usagers, il fut plus surprenant de voir à quel point la fronde « anti-80kmh » a rapidement gagné les députés et élus de nombreuses régions. Le Sénat a également montré ses réticences de façon plutôt virulente… Et les fameux résultats des « expérimentations » en cours sur certains axes à 80kmh depuis deux ans, et dont on souhaitait tellement cacher les résultats, ont -évidemment- finis par fuiter, ceux-ci ne démontrent aucune réelle efficacité quantifiable concernant le nombre d’accident.
Le rapport ensuite diffusé par le CEREMA (Centre d’Etudes et d’expertise sur les Risques, l’Environnement, la Mobilité et l’Aménagement) relève également de gros dysfonctionnements dans la méthodologie appliquée pour cette étude (extrapolation de résultats, 7 mois de relevés pour 2 ans d’expérimentation…).
Au final il n’en ressort que : « A une baisse de la vitesse limite autorisée correspond une baisse des vitesses pratiquées» ou « La vitesse autorisée a une incidence significative sur les vitesses pratiquées ».
Quelques semaines plus tard, on apprenait que le premier ministre était désormais bien seul à maintenir ses idées, et courant mars on a même appris qu’une consultation nationale allait être organisée. Même Gérard Collomb, pourtant ministre en charge de ce dossier (la sécurité routière étant passée du Ministère des Transports au Ministère de l’Intérieur en 2009) jouait son « joker » ne souhaitant pas être davantage la cible des élus de toute la France. Un fait inattendu dans une majorité présidentielle qui nous a habitué a toujours faire « bloc » depuis l’investiture de 2017.
Le sujet d’une consultation nationale a finalement été bien vite oublié. Il est facile d’imaginer qu’elle a surtout été organisée dans une vaine tentative de noyer le poisson. (même si le site est toujours en ligne à l’heure où j’écris ces ligne).
Notez que le résultat de cette enquête, dont le résultat devait être utilisé par le Conseil d’Etat pour l’établissement du décret pose un certain problème de date : celle-ci devait durer 3 mois (soit jusqu’au 20 Juin. Il est évident que ce support n’a pas eu beaucoup de poids sur un décret paru au Journal Officiel le… 17 Juin.
En même temps, on imagine aisément les résultats et avis récoltés vue l’impopularité de la mesure.
De la méconnaissance des différents mode de transport, le bilan du CISR
Après tout, cette impopularité était courue d’avance : Il suffit de voir les recommandations émises lors du dernier CISR pour se rendre compte à quel point nos dirigeants semblent totalement déconnectés de la réalité en matière de sécurité routière.
Il y a de quoi être effaré à la lecture du dernier rapport et des différentes recommandations émises. Je prendrais pour exemple en page 24 l’autorisation pour les deux roues motorisés d’utiliser leurs antibrouillards (note aux néophytes en matière de moto qui me lisent : les motos possédant des phares antibrouillard sont extrêmement rares).
Une nouvelle fois, c’est un détail qui met en évidence la méconnaissance de certains modes de transport ou de certaines situations, et qui prouve également à quel point les recommandations émises par exemple lors des CNSR de ces dernières années (qui regroupent cette fois-ci des experts en la matière) sont ignorées encore et toujours.
On cherche à faire du politiquement correct, faire semblant… Encore une fois pour prouver à l’opinion publique qu’on travaille activement sur ces sujets. Mais parfois l’évidence saute au yeux !
C’est ce genre de méconnaissance qui a fait de la France en 15 ans le pays du radar à toutes les sauces et où le contrôle-sanction est devenu LA réponse à presque tous les problèmes routiers.
Sans surprise, la baisse de la vitesse à 80 km/h est issue de ce même CISR.
Sécurité rentière ? Vraiment ?
Personnellement, je ne pense pas que tout ait été fait et planifié dans le but de ponctionner le portefeuille de l’usager au moindre petit écart de conduite. Du moins initialement.
Je pense plus que l’intention première de toutes ces mesures est bien avant tout de faire de la sécurité routière. Mais de la sécurité routière façon grand public, populaire presque populiste, histoire de montrer qu’on s’occupe bien de ces problèmes avec une fermeté exemplaire.
Dans un pays où les clips de prévention se basent sur l’effroi (avec une efficacité toute relative) et où le seul levier employé afin de faire respecter des règles est de brandir la sanction en l’absence de vraie sensibilisation (qui elle, coûte de l’argent), sans vraie explication rationnelle – ou pire : sans bon sens- (port des gants). L’interdiction bête et méchante finit par passer pour une mesure de sécurité routière. Donc pour bien faire comprendre qu’on prend les choses au sérieux, en France on sanctionne.
C’est ainsi qu’on s’est retrouvé avec les radars automatiques transformés en véritables machines à cash au fil des ans (plus d’un milliard de recettes pour le contrôle automatisé à lui seul !). Ce qui pour rejoindre ce que je disais plus haut est pour moi plus une conséquence, certes bien arrangeante pour les caisses de l’État lors de la crise de 2008, 5 ans après l’implantation des premiers radars automatiques.
Une conséquence devenue par la suite une norme : le contrôle sanction est désormais géré comme une société commerciale, avec ses objectifs financiers. L’objectif de sécurité sur les routes peut sembler bien loin, mais je reste convaincu que l’intention première n’était pas de générer davantage de recettes par l’intermédiaire de l’augmentation du nombre de contraventions.
Pour autant, je conçois qu’absolument tout laisse présager du contraire. Et ce n’est pas l’annonce d’un nouveau décret imposant le « bridage » des avertisseurs de radars en les empêchant de signaler les contrôles qui va faire changer les mentalités sur ce point.
Ici aussi, le but premier est louable : empêcher le signalement des forces de polices en cas de recherche de personnes dangereuses. Hasard de calendrier ou pas, son annonce intervient juste avant les vacances et juste après l’officialisation de la baisse de la vitesse à 80 km/h. Avec ce genre de manœuvre, la quasi-totalité des conducteurs ne peut penser à autre chose qu’une énième mesure permettant d’alimenter la « pompe à fric ».
Dans ce contexte on ne peut décemment pas leur reprocher. Même si comme je vous l’ai expliqué plus haut, rien ne laisse à penser qu’il s’agit de la motivation première, impossible que cette idée ne traverse pas l’esprit. Surtout quand on annonce que les radars flasheront dès le 1er Juillet à minuit, quand bien même les panneaux ne seraient pas encore changés.
Comment voulez-vous arriver à faire passer un message positif là-dedans ?
Un but à atteindre à tout prix : Moyens et méthodologies politiques
Ne nous y trompons pas, comme je viens de l’expliquer je pense que l’intention de baisser la limitation de vitesse à 80 reproduit simplement le même schéma : une volonté réelle -avec une vision à court terme et surtout très limitée- de faire baisser le nombre de morts rapidement.
Le plus important se situe ailleurs : le moyen employé. Je pense qu’il s’agit plus d’une des premières motivations ici. Une mesure choc, radicale, et sur laquelle le gouvernement refuse de revenir malgré que tout le monde refuse l’idée, jusqu’aux bancs du Sénat.
Le but est clairement de montrer la volonté du nouveau gouvernement de vouloir trancher avec la politique de sécurité routière menée jusqu’ici, avec des mesures chocs, presques brutales pour marquer les esprits. Bref, de la politique, rien de plus, rien de moins.
Rappelez-vous à l’été 2017 quand je faisais le point après les élections je prévoyais des mesures phares dans ce domaine. Je pensais exactement à ce genre de choses.
L’efficacité, certes limitée, sera probablement au rendez-vous (c’est mathématique, on le verra plus bas) mais il sera de tout manière difficile de quantifier honnêtement celle-ci au milieu d’une tendance du nombre de tués évoluant naturellement à la baisse, ne serait-ce qu’en raison du renouvellement du parc de véhicules dont la sécurité n’a de cesse d’augmenter. Mais ça ne serait pas la première fois que cette tendance permet de justifier tout et n’importe quoi sur base statistique.
Un sujet après l’autre : A qui le tour ensuite ?
Ici on s’attaque à la vitesse. Demain et devant l’efficacité toute relative du 80km/h généralisé, ce sera le tour d’un autre « problème de sécurité routière » comme celui que représente les motards et la mortalité inhérente à ce mode de transport que les pouvoirs publics ne comprennent pas. Si ceux-ci ont été laissés relativement tranquilles lors du dernier CISR, c’est bien car la mesure de diminution de la vitesse était dans les tuyaux. Un seul sujet sensible à la fois.
Une fois la tempête passée, il faudra pour le gouvernement s’attaquer aux autres points chauds, obligation de port d’équipement en tête. Remarquons que le terrain est d’ores et déjà balisé, avec la volonté d’imposer prochainement bottes homologuées (seules des bottes montantes sont obligatoires, jusqu’à présent sans plus de critère) et airbag pour la formation du permis moto, avant une très probable obligation généralisée à moyen ou long terme.
Il en ira de même avec le contrôle technique, qui reviendra inévitablement sur le tapis une fois les précédents dossiers traités.
La pédagogie inexistante, la contre productivité de ce genre de mesure en matière d’éducation routière
La diminution de la vitesse pour abaisser le nombre de morts sur les routes, réalité ou pas, j’ai tendance à dire qu’ici ce n’est presque pas le fond du problème.
Je pense que le soucis c’est surtout qu’on cherche à imposer une règle avec nulle autre motivation que la peur de la sanction, avec un aspect pédagogique totalement relégué au second plan. Il y a clairement un soucis de méthode, qui poserait problème même si la baisse des vitesses est une solution pérenne.
Rappelez-vous, l’année dernière dans un article dédié à la qualité de la formation à la conduite en France, je vous expliquais que certains élèves ne voyaient plus que la peur de la sanction comme unique motif les incitant à respecter une limitation ou une règle.
C’est dire à quel point la notion de sécurité est biaisée dans l’esprit de nombreux conducteurs, surtout les plus jeunes. Les œillères sécuritaires mises en place par les pouvoirs publics, au motif de pourchasser l’objectif illusoire (sauf avec véhicules autonomes ?) du « zéro mort sur les routes peu importe les méthodes« , masquent totalement la réalité de ce qu’on pourrait réellement appeler « sécurité routière ».
Avec la limitation à 80 km/h, c’est un peu ce genre de dogme qu’on nous ressert une énième fois. Sauf que désormais, on ne cherche même plus à masquer les mesures derrière des statistiques savamment interprétées comme il était de coutume jusqu’à présent. Pourtant, les résultats de l’expérimentation menée depuis 2 ans auraient été un terreau fertile à une communication bien ficelée, quand bien même les résultats de celle-ci ne mettent absolument pas en évidence une quelconque baisse de l’accidentalité : on le sait, les chiffres on leur fait dire ce qu’on veut. (Exemple basé sur l’étude des distances de freinage auto / moto)
Le seul début d’explication pour justifier cette modification du code de la route se base sur les mathématiques, où on extrapole la différence du nombre de tués entre 80 et 90 km/h sur le réseau secondaire, de façon linéaire et sans prise en compte d’autres facteurs. On cherche juste à faire rentrer dans les esprits que vitesse=tués, sans aucune autre forme d’analyse.
La vitesse seulement la vitesse. Quand je vous parlais de dogme…
Vitesse pendant le permis probatoire et nécessité d’adapter sa vitesse aux conditions : les oubliés de cette histoire
Et quid de la vitesse qui était déjà limitée à 80 km/h sur les routes hors agglomération pendant le permis probatoire et dont le « code » tel qu’il est présenté dans les manuels à destination des élèves, insistait parfois lourdement sur l’importance de ce différentiel ? Maintenant jeune permis ou pas, plus de différence sur les axes concernés (pourtant les plus accidentogènes) par l’abaissement de la limitation, tous à 80. Et il n’est aucunement question d’un passage 80 vers 70 km/h pour les apprentis conducteurs comme certains l’imaginaient.
Notez qu’à aucun moment depuis le mois de Janvier on ne rappelle aux usagers d’adapter leur vitesse aux situations rencontrées, en appelant à leur responsabilité. A la place on préfère poser une limite de plus, sous peine de « punition ». Il s’agit pourtant là d’un concept essentiel du REMC (Référenciel pour l’Education à une Mobilité Citoyenne – le document fixant les principes de l’éducation routière en France), et même d’un élément présent dans le code de la route (article R413-17, punissable par une contravention de 4ème classe).
Plutôt regrettable, d’autant que beaucoup roulent à une vitesse donnée uniquement car « le panneau le dit ». Les conducteurs noyés sous une profusion de règles en viennent à ne plus réfléchir sur la route…
D’ailleurs, de la bouche même de Philippe Lauwik, président de l’automobile club médical (soutien de la réforme, ex-président de la commission « Alcool-stupéfiants-vitesse » du CNSR) interviewé sur l’antenne de France info le 8 janvier dernier, peu importe les raisons (infrastructures ou origines comportementales) un accident est toujours lié à la vitesse, le reste étant toujours secondaire. Autant dire qu’avec ce genre de discours, on nage en plein délire sécuritaire. Prochaine étape : interdire de rouler pour ne pas avoir d’accident ?
Dans la même logique les mauvaises infrastructures n’y sont pour rien. Par exemple un motard qui chute à 15 km/h à cause d’une épaisse couche de gravillons en virage : toujours la faute à la vitesse. En effet, si sa vitesse était nulle, il n’y aurait pas eu d’accident. Absurde.
Remarquez, certains soutiennent l’idée d’un abaissement à 70km/h de la vitesse sur ces mêmes axes.
Oui, on en est là. Question pédagogie, on repassera.
Le mauvais combat ?
Certes, la baisse de la vitesse de 10 km/h entraîne une diminution de la distance de freinage de 13 mètres en moyenne. Il s’agit d’ailleurs du seul vrai argument que la sécurité routière va exploiter jusqu’à l’usure dans sa récente campagne, martelé par Emmanuel Barbe et les spots TV / Radio préparant l’arrivée de la mesure (quitte à être à la limite de la désinformation)
Alors oui, 13 mètres sur la distance de freinage… Mais la distance d’arrêt d’un véhicule dépend premièrement de la distance parcourue pendant le temps de réaction.
Il s’agit du moment entre la perception de la situation et le moment où on commence à agir sur le frein. Et c’est surtout ce laps de temps qui est le plus allongé par les « distracteurs », téléphone en tête, ou l’usage des psychotropes.
Un problème majeur en pleine explosion qui semble pourtant totalement oublié. C’est dommage, car une demi seconde gagnée permet de raccourcir la distance d’arrêt (donc distance totale parcourue entre la perception et l’arrêt du véhicule) de… 17 mètres !
Mieux qu’une baisse de 10km/h donc. Mais pour influencer sur ce paramètre via une attention accrue sur la route, le radar n’est d’aucun recours et il faut passer par la prévention et la sensibilisation dès la formation initiale. Des solutions existent, je vous avais déjà présenté un exemple concret en auto-école. Néanmoins ce genre d’exercice n’a pas sa place actuellement dans un permis qu’on doit boucler (bâcler ?) le plus vite possible en raison de son coût.
Quand on voit l’explosion de l’utilisation des smartphones au volant, c’est bien ce temps de réaction qui explose et augmente mécaniquement les distances de freinage. Et que fait-on pour sensibiliser EFFICACEMENT à ce problème ?
Et ce n’est pas l’attitude répressive de ces dernières années qui a changé quoi que ce soit, malgré le durcissement de la réglementation (passage à un amende de 4ème classe, -3 Points sur le permis, en 2012) et les nouveautés en matière de sanctions déjà annoncées pour la fin 2018 qui seront de toute manière inefficaces dans la longueur.
Alors on « patche » en abaissant la vitesse de 10km/h… Aboutissant à une conduite plus monotone encore sur certains axes, incitant encore plus certains à aller sur les réseaux sociaux en roulant ?Quid d’un conducteur provoquant un accident mortel en étant en excès de vitesse ET en train de Twitter sur son téléphone en même temps ? Toujours la faute de la vitesse ?
Encore et toujours, l’origine de ces trop nombreux accidents est comportementale. Baisser la vitesse n’aboutira qu’à plus de petits excès et un énorme sentiment d’injustice chez les conducteurs. Où se trouve la pédagogie dans tout ça, seule capable d’influencer de façon concrète les comportements et à long terme, en agissant à la racine ?
Une nouvelle fois, rien ne changera tant que les habitudes ne changeront pas, et la peur de la sanction ne sera jamais un levier efficace. Un fait que toutes les mesures répressives ne cessent de démontrer les unes après les autres de part leur inefficacité à juguler les comportements dangereux.
Celle-ci ne fera pas exception, même si on nous promet que l’objectif n’est pas de lutter contre la vitesse (!), mais bien contre les accidents. Quand je vous parlais de mauvaises méthodes, on est en plein dedans !
Pour approfondir le sujet, je vous recommande ces autres articles :
L’analyse de Loïc Prud’homme, député de Gironde : Pourquoi la limitation à 80 km/h n’aura pas l’impact positif prétendu par le gouvernementUne vidéo de LCP (La Chaîne Parlementaire) : Limitation à 80 km/h : le gouvernement pris de vitesse ? (Merci à David en commentaire)
Je découvre ce blog à travers cet article d’une justesse exemplaire, complet et précis tout en étant synthétique et objectif.
Bravo et merci, si seulement nos gouvernements et leurs lobbies pourraient s’en inspirer.
Bonsoir Cedric,
Merci pour cet excellent article, tant sur le fond que sur la forme.
Je suis pilote de ligne : nous volons tous les jours à 900km/h, nous posons et decollons a 300km/h… et aucun accident aerien n’a eu lieu en 2017 DANS LE MONDE ENTIER (1e fois depuis l’edition de ces statistiques)!!!
La sécurité des vols est un domaine au moins aussi étendu que celui de la sécurité routière. Normes, certifications, règlements y sont très durs et contraignants. Mais, paradoxalement, il n’y a pas de contrôle de vitesse réalisé par l’Autorité (EASA ou DGAC)!!!
La sécurité des vols repose sur de nombreux principes, mais au final, sur l’HUMAIN, qui reste à la fois le plus grand atout mais la plus grande faille du système aérien civil. Formation initiale et récurrente, concepts d’anticipation des menaces et erreurs, de « cockpit sterile » ( interdit de parler d’autre chose que du vol en cours pendant les phases à risque), etc. Nous sommes à des années-lumière de la pseudo sécurité routière actuelle.
C’est avec plaisir que j’echangerais avec vous sur cette mise en perspective de deux mondes si différents, mais qui devraient pourtant viser les mêmes objectifs !
Stéphane
Super article. Merci
J’ai vu ça aussi qui me semblait pas mal.
A+
http://lcp.fr/emissions/ca-vous-regarde/288528-ca-vous-regarde
Très intéressant en effet ! Je l’ai ajouté en fin d’article. Merci beaucoup 😉
Passer de 90 à 80 est simpliste, juste des panneaux à remplacer, aucun effort intellectuel, ou idée novatrice, voire pédagogie active à mettre en place, formation, … Je roule à 70 en Suède et fait des milliers de km (ouf y a aussi du 80 et je me promène, donc pas pressé) mais cette fixette sur les 400 000km de route causant 55% des tués m’interroge. On abandonne donc les 45% sur les 600 000km restant (toutes avec séparateur central ?) ? Pas d’idée ? Constat d’échec, pas de mesures utiles pour réduire l’accidentologie hors ajouter des interdictions multiples ? (des gens au téléphone, en ai vu en Suède, Italie aussi, ça semble une « plaie » généralisée).
Le modèle statistique du chercheur suédois spécialisé en circulation routière dit -1% vitesse -2% accidents, -4% tués, mais où a-t-il été vérifié ? Il faut toujours corriger un modèle (hypothèses diverses) avec les vraies mesures pour l’affiner, modifier des hypothèses et le faire mieux se rapprocher du réel, petit à petit (retour d’expérience).
Un effet pervers du système de tranches 20km/h est qu’à 98 pour 90 maxi, la sanction sera la même pour 98 et 80 maxi, envisager de « petits excès » (très majoritaires) de 10km/h aurait semblé les autoriser.
Sur LeMatin on lit qu’en 30 ans, passer de 100 à 80km/h leur a fait réduire de 90% le nombre de tués en Suisse (mais tout joue : les voitures modernes, les routes améliorées, etc etc. Impossible de séparer les contributions (ce qu’on adore pourtant ‘faire’ chez nous, il faut un discours)).