Ça ne vous a probablement pas échappé, l’actualité du véhicule autonome est en pleine effervescence. Ce qui relevait de la science-fiction il y a seulement quelques années est sur le point de devenir une réalité. Au delà de la voiture à conduite partiellement autonome dont quelques modèles ont récemment été mis en circulation, on voit depuis plusieurs années se développer de nouvelles technologies visant à simplifier la vie du conducteur de toutes les catégories de véhicules, motos comprises.
Le moment serait-il déjà venu pour le conducteur de se poser la question de sa place derrière le volant ou le guidon ?
Une des plus grandes révolution en matière de transport individuel est sur le point de se produire, et celle-ci soulève bien des questions.
L’automatisation de la conduite, à différents degrés
La conduite assistée ne se résume pas à l’auto-pilotage du véhicule. Il s’agit également des aides à la conduite déjà présentes sur de très nombreux véhicules depuis de nombreuses années : Aide au freinage d’urgence, régulateur de vitesse, aide à l’évitement…
Vient ensuite la conduite autonome à proprement parler, avec laquelle tout ou partie des tâches liées à la conduite est délégué à l’intelligence artificielle du véhicule. D’ici 2025, les premiers véhicules complètement autonomes arriveront sur les routes, grâce auxquels vous pourrez tranquillement poster sur les réseaux sociaux sur le chemin du boulot (certains vivent déjà dans le futur !)
Avec le nombre grandissant de voitures haut de gamme disposant d’une conduite plus ou moins autonome comme ce que proposent les constructeurs Tesla, BMW, Mercedes, Volvo, Nissan… le grand public est désormais familier de ces technologies.
L’assistance à la conduite est classée par l’OICA (Organisation Internationale des Constructeurs Automobiles) en 6 catégories, de 0 à 5.
0 correspondant à une conduite entièrement manuelle et 5 à une conduite se passant complètement de l’intervention humaine.
Ce dernier niveau n’est pour le moment pas autorisé à la circulation sur les routes françaises, la législation actuelle ne le permettant pas. Cependant les expérimentations sont en cours depuis l’année dernière, grâce à l’ordonnance n° 2016-1057 du 3 août 2016 et les assouplissements de la législation européenne. Les autres pays accélèrent aussi les expérimentations depuis plusieurs mois.
En plus des constructeurs, de nombreux équipementiers (Valeo, Bosch, Continental…) ainsi que des entreprises de l’informatique (Google, Nvidia) et même Uber se penchent sur la conduite autonome et les assistances à la conduite, et les technologies employées se développent à une vitesse fulgurante.
Ôter le facteur humain de l’équation ?
Dans une quête sécuritaire perpétuelle, il faut avouer que le véhicule autonome propose un avantage de taille pour faire baisser le nombre d’accidents : pouvoir circuler sans l’intervention d’un être humain.
En effet l’erreur humaine est la cause de plus d’un accident sur 10 (même si ce chiffre porte à débat). Et alors que les chiffres de l’accidentologie semblent stagner depuis plusieurs années malgré une répression toujours plus importante, la conduite autonome, ou à minima assistée, semble être la solution miracle au problème.
Tesla annonce clairement la couleur sur la page dédiée à la fonction « AutoPilot » de leurs voitures :
Tous les véhicules Tesla […] bénéficient des équipements nécessaires à la conduite autonome, offrant un niveau de sécurité largement supérieur à un conducteur humain.
Le véhicule qui se passe de l’humain, c’est plus de sécurité, plus d’économies d’énergie, et la fluidification du trafic à la clé. Le rêve pour certains…
Et la possibilité de pouvoir prendre légalement sa voiture en étant ivre dans un futur proche ? Ou pouvoir circuler sans permis ?
Tous les véhicules sont concernés, même les motos !
Outre la voiture, ce sont toutes les autres catégories de véhicules qui sont concernées à différents degrés.
Certains secteurs comme le transport de marchandises ou les transports en commun semblaient évidents et plusieurs acteurs sont entrés dans la course au camion autonome.
Mais cette tendance semblait bien moins évidente pour les deux-roues.
Certes depuis une dizaines d’années le nombre d’assistances présentes sur les motos a explosé : à commencer par l’ABS -pourtant vraie aberration pour beaucoup de motards à ses débuts- et qui s’est largement répandu sur les routières puis les roadsters avant de devenir obligatoire sur les motos neuves depuis 2016.
Le contrôle de traction fait de plus en plus souvent partie des équipements de séries des machines de forte cylindrée, tout comme le régulateur de vitesse, les dispositifs anti-wheeling ou l’ABS adaptatif en fonction de l’angle de la machine, mesuré par une centrale inertielle.
KTM fut l’un des premiers constructeurs à proposer un système d’assistance embarquant une centrale inertielle Bosch MSC (pour Motorcycle Stability Control) fin 2013. Une technologie proposée l’année suivante dur certaines Honda, Ducati et BMW.
Pour le moment il ne s’agit que d’aides à la conduite plus ou moins élaborées, mais ces derniers temps les constructeurs font d’impressionnantes démonstrations de leurs technologies en terme d’assistance.
Que faut-il penser du Honda Riding Assist, qui permet de garder la moto droite sans intervention du pilote, même à l’arrêt ? Toujours une simple « aide » ou retire-t-on une composante essentielle de ce qui définit la moto ?
Et que dire de la démonstration du MotoBot V2 de Yamaha ces derniers jours !
Pour le moment il ne s’agit que d’une simple vitrine permettant de démontrer le savoir-faire de Yamaha, mais ce genre de technologie viendra bien à prendre place sous une forme ou une autre dans nos motos à l’avenir.
Même si le Motobot pourra peut-être affronter Rossi dans un futur proche, se substituer au pilote est bien entendu un non-sens en moto… A moins de ne le remplacer que « partiellement » à l’instar de ce qui se fait déjà en automobile pendant les bouchons par exemple ?
On peut imaginer la technologie du MotoBot intégrée dans une future grosse routière, qui pourrait suppléer le pilote sur voie rapide en contrôlant la transmission, l’accélération et le freinage de façon optimale. Mais à quel point le motard acceptera-t-il de devenir spectateur ?
Les conducteurs prêts à céder leurs responsabilités à une intelligence artificielle ? Des questions éthiques en suspens
Hormis l’idée de devenir « simple spectateur » dans un véhicule qui vous acheminerai d’un point A à un point B qui soulève déjà elle-même de nombreuses questions, il est intéressant de se poser celle de la place du conducteur dans la conduite.
Est-ce que celui-ci est réellement prêt à accepter de façon aveugle les décisions prisent par l’intelligence artificielle de son véhicule ?
Une chose est sûre, dans peu de temps les voitures se passant complètement de l’intervention humaine seront sur les routes et celles-ci se démocratiseront rapidement. Les premiers accidents impliquant une voiture autonome et un véhicule conduit de façon conventionnelle, un cycliste, un piéton ou un deux-roues motorisé auront lieu. A qui ira la responsabilité ?
Imaginons que l’IA de la voiture doive faire le choix d’une embardée -qui se traduirait par la mort certaine des occupants du véhicule- ou aller percuter un groupe de piétons : le propriétaire du véhicule est-il moralement prêt à accepter le choix réalisé à sa place ?
Ce sont les questions que se sont posées trois chercheurs de l’école d’économie de Toulouse, du MIT et de l’université d’Orégon. Ceux-ci ont procédé à des tests psychologiques sur plus de 2000 personnes et les résultats ont été publiés dans une étude intitulée « Le dilemme social du véhicule autonome », parue dans la revue « Science » du 24 Juin 2016. (étude en anglais, voici un résumé en français par le journal Le Monde)
Si les conducteurs ont plutôt tendance à choisir la vie des piétons par rapport à la leur dans une situation que ceux-ci contrôlent, il en va autrement quand on leur pose la question de savoir s’ils seraient prêts à acheter un véhicule programmé pour faire de même…
Notez que cette étude se poursuit, avec un site ouvert par les trois chercheur : MoralMachine (choix de plusieurs langues possibles dont le français).
Ce site vous propose de donner votre avis dans chacun des scénarios, en fonction du profil des personnes que vous (ou le véhicule) pourrait potentiellement tuer : âge, catégorie socio-professionnelle, délinquant…
Avènement de la conduite autonome ou fin de la conduite « à l’ancienne » ?
A l’instar des assistances à la conduite qui se sont imposées et ont été imposées sur les véhicules neuf : ABS, ESP, capteur automatique de pression des pneus, il y a fort à parier que la conduite à délégation partielle ou totale devienne la norme dans la décennie à venir.
Comme dit plus haut, le facteur humain rentre en ligne de compte dans plus de 90% des accidents, et il semble pour le moins compliqué d’envisager à long terme comment pourront subsister les derniers véhicules « non-autonome » au milieu d’un trafic automatisé.
Ne serait-ce que d’un point de vue de la sécurité routière, sera t-il encore permis longtemps de conserver un véhicule conventionnel, tellement plus accidentogène en comparaison avec les véhicules autonomes, en particulier sur certaines routes ou dans certaines situations ?
Verrait-on alors apparaître une stigmatisation des conducteurs qui ne pourront -ou ne souhaiteront- pas passer à la conduite assistée ou autonome ?
Après tout, nul besoin d’imaginer le futur : Une catégorie de conducteur déjà stigmatisée par les pouvoirs publics pour son goût des véhicules accidentogènes, cela ne vous dit rien ? C’est bien la mentalité des motards (et par extension celle de tous les autres amateurs de véhicules de « loisirs ») qui sera peut-être une des composantes les plus compliquées à gérer par les pouvoirs publics à l’avenir une fois venu le temps du véhicule autonome.
La moto, ce véhicule archaïque inadapté à la circulation tout automatisée ?
S’il y a bien un véhicule intimement lié au plaisir de la conduite et jugé inutilement dangereux par de nombreuses associations, c’est bien celui-ci. Autant dire qu’au milieu d’une circulation « automatisée » qui tendra naturellement à voir son nombre d’accidents diminuer, les motards seront encore plus critiqués qu’actuellement si rien n’est fait pour différencier ces véhicules et leurs conducteurs.
J’ai eu souvent l’occasion d’en parler, une partie du problème vient de l’incapacité des pouvoirs publics et des associations en question à voir dans la moto autre chose qu’un simple mode de déplacement, auquel on cherche à appliquer les mêmes règles qu’aux autres véhicules sans aucune prise en compte des spécificités intrinsèques aux deux-roues motorisés.
Les deux roues représentent une catégorie de véhicules naturellement plus accidentogènes, ne serait-ce qu’en raison de leur manque de protection et de dispositifs de sécurité active et passive. Pour autant, on cherche désespérément à confronter les statistiques de l’accidentologie de ces véhicules à ceux d’autres catégories.
Le fameux « 2% pour trafic pour 22% des tués » présent dans vos fiches du permis moto et dont j’ai déjà parlé à plusieurs reprises. Un peu comme si on comparait les chiffres des accidents en deltaplane à ceux des avions, au prétexte qu’ils évoluent dans le même environnement…
Avec la démocratisation des véhicules autonomes, les chiffres de l’accidentalité des véhicules équipés tendra inévitablement à baisser. A ce moment, continuer à comparer les chiffres de l’accidentalité des deux-roues à ceux des voitures aura encore moins de sens qu’aujourd’hui.
Une remarque qui s’appliquera d’ailleurs à tous les autres véhicules non-autonomes, dont les statistiques ne pourront jamais être comparées à ceux des véhicules à conduite déléguée.
Comment sera géré cette situation, telle est la question.
Le cas de la conduite « plaisir » : autos non-autonomes, anciennes et motos
Plus que jamais avec le 100% autonome, la voiture devient un véritable « moyen de transport » stricto-sensu. Comprenez par là une simple boîte qui vous amène d’un point à un autre. Une « boîte » avec un confort et un agrément variable selon le prix auquel vous l’aurez payée, certes, mais tout de même un simple moyen de déplacement.
Pensé de la sorte, plus aucune notion de plaisir de la conduite n’est prise en compte, et on perd beaucoup de ce qui constitue l’essence même de la voiture pour de nombreux passionnés.
Ce qui rend automatiquement hors de propos le principe même d’avoir une voiture pour le simple plaisir de la conduite.
Remarquez, cela fait déjà bien longtemps que le marketing d’une voiture (en dehors des voitures de prestige) se fait davantage sur son confort intérieur, son côté « hyper-connecté » avec sa tablette tactile centrale, sa sécurité… plutôt que sur ses performances, sa tenue de route ou son plaisir de conduite. Quelque-part la conduite autonome qui vous permet de prendre votre café en lisant votre tablette sur le chemin du boulot est peut-être la suite logique à tout ceci !
Vient ensuite le cas des motards évoqué plus haut mais aussi de tous ceux circulant en véhicule « plaisir », voiture sportive récente ou véhicule ancien par exemple. Un cas de figure occulté par la recherche de la sécurité absolue sur la route.
Je pense qu’il est important -et nécessaire- de différencier la conduite « plaisir » de la conduite « utilitaire ». Cette dernière peut tout à fait être substituée par une intelligence artificielle se passant de l’intervention humaine. Mais il sera impossible de faire cohabiter ces véhicules sans un réel changement des mentalités à ce sujet.
Ce genre de pratique « plaisir » aura-t-elle seulement encore une place sur les routes dans le futur ? Sera-t-elle réservée à une élite capable de payer des primes d’assurance dissuasives ou sera-t-elle cantonnée aux circuits ?
Trouver un point d’équilibre
Il semble un peu tard pour enrayer une technologie qui s’installe somme toute un peu brutalement. Et il est important de ne pas y voir que du négatif. L’aspect du dilemme moral soulevé par la conduite assistée et autonome n’est qu’une partie du problème. Il est plus que probable qu’après une période de « rodage » (surtout du point de vue des usagers !), le meilleur ressortira naturellement.
En plus de l’aide en situation d’urgence, des pistes très intéressantes sont explorées en matière de sécurité active, comme l’assistance à la conduite permettant d’anticiper les situations dangereuses bien en amont. En moto le concept « Rideology » de Kawasaki va dans ce sens, en informant au maximum de pilote de des conditions de circulation sur la route qu’il s’apprête à emprunter.
On peut également citer les systèmes de communication entre véhicules, qui visent également à anticiper les situations à risque et fluidifier la circulation grâce à l’échange de données entre véhicules à proximité.
Les Etats-Unis envisagent de rendre ce genre de technologie obligatoire dans les années à venir et en Europe, des constructeurs travaillent sur le sujet, comme Mercedes-Benz avec son système Car-to-X.
Il s’agit là d’évolutions des assistances de conduite qui permettent de sécuriser la conduite humaine sans avoir un recours total à l’automatisation.
Je pense également qu’il sera indispensable de correctement informer et sensibiliser les conducteurs à ces technologies avant qu’elles ne fassent complètement partie du paysage, de façon à éviter l’excès de confiance que pourrait induire la présence de celles-ci.
Il s’agit d’un phénomène connu sous le nom « d’homéostasie du risque », démontrant la différence entre risque perçu et risque réel.
En effet plus la situation semble sûre, plus le conducteur néglige certains aspects de sa conduite. C’est ce qui explique que la majorité des accidents mortels ont lieu en journée, par beau temps et en ligne droite : là où le risque apparent est le plus faible. Une baisse de vigilance qui pourrait apparaître en cas de conduite à délégation partielle…
Mais il s’agit d’un sujet que je développerai très prochainement sur LMHDC ! (Edit : c’est en ligne et ça se passe ici !)