Voici un article portant sur la façon de concevoir la formation à la conduite et sa pédagogie en France, l’application des règles et leurs justifications, et des pistes qui permettraient d’aboutir à un meilleur partage de la route. Des sujets qui me tiennent tout particulièrement à cœur.
C’est pour votre bien !
La France est passée maître dans l’art d’imposer certaines règles en basant son argumentation sur des motifs absurdes, en démontant parfois elle-même son propre argumentaire sécuritaire.
Un exemple : La volonté d’imposer le port du gilet haute visibilité à moto.
Une idée qui revient sur le tapis régulièrement, massivement repoussée par les motards depuis de nombreuses années. Le gilet s’est un temps transformé en brassard rétro-réfléchissant, par l’intermédiaire d’un décret promulgué le 3 Janvier 2012 par le délégué interministériel à la sécurité routière de l’époque, Jean-Luc Névache.
Le texte prévoyait alors l’obligation du port du fameux brassard dès le mois de Janvier l’année suivante, uniquement pour les véhicules de plus de 150cc (à croire que les plus petites cylindrées sont plus visibles !). Un texte qui a été « suspendu » en novembre 2012 par Manuel Valls, alors fraîchement nommé Ministre de l’Intérieur, pour finalement être définitivement abrogé le 18 Décembre de la même année.
Trop brusque pour être accepté ? Qu’à cela ne tienne, en Octobre 2015 le gouvernement a remis une nouvelle fois le sujet sur le devant de la scène en décidant lors du dernier CISR (Conseil Interministériel de Sécurité Routière) l’obligation de détenir à bord du véhicule, sur soi ou dans un rangement de la moto, le fameux gilet haute visibilité.
Ainsi depuis ce début d’année, les conducteurs de deux roues motorisés sont tous soumis à cette obligation. Un gilet à porter uniquement en cas d’arrêt d’urgence au bord de la route. Le tout sous peine de sanction (bien entendu !) : 11€ en cas d’absence du gilet à bord du véhicule, 135€ (contravention de 4ème classe) en cas de non port en cas de situation d’urgence. Oui, si vous avez un accident : pensez à vous traîner jusqu’à la carcasse de la moto pour enfiler votre gilet.
Une obligation « en douceur » en tant que simple équipement de bord, mais nous y sommes enfin : le fameux gilet est enfin entré dans le monde des deux-roues ! Il n’est d’ailleurs toujours pas exclu que d’ici quelques années, le port de nuit devienne obligatoire… Pour finir plus tard à une obligation de port permanent, une mesure demandée à de nombreuses reprises par les influentes associations motophobes.
Est-ce qu’un gilet haute-visibilité est sans intérêt pour autant ? Bien sûr que non, mais il aurait été apparemment trop compliqué de faire un peu de pédagogie concernant son utilisation, en expliquant l’intérêt évident du port d’un gilet haute visibilité de nuit par temps de pluie par exemple… D’ailleurs de très nombreux motards roulant dans ces conditions n’ont pas attendu la loi pour s’en équiper. Non, ici la seule démarche est l’habituel duo obligation / sanction, et c’est bien tout le cœur du problème selon moi : on assiste à un véritable phénomène de sur-réglementation, dépourvu de toute forme de pédagogie.
Et comment justifier cette obligation ? Eh bien en argumentant sur le fait d’éviter le sur-accident dû au fauchage du motard à côté de sa machine… Combien de cas d’accidents dans cette situation précise par le passé ? probablement très peu. En tout cas la DSCR, contrairement à ses habitudes, n’avancera jamais le moindre chiffre mais explique aussi que c’est en raison du respect de « l’équité avec les automobilistes » qui doivent détenir à bord du véhicule un gilet et un triangle de signalisation.
Elle a bon dos « l’équité », un peu comme si on imposait le casque aux automobilistes… Ou le port des gants tiens. Port dont le gouvernement prévoit justement de promulguer prochainement l’obligation. Alors que pour des raisons évidentes, la quasi-majorité des usagers en est déjà pourvue, et n’a pas attendu que l’état légifère pour se soucier de leur sécurité. Effet pervers de la sur-réglementation, elle entraîne également la déresponsabilisation des usagers qui se retrouvent pour certains à s’équiper uniquement en raison de l’obligation.
Un peu comme si un texte imposait au nom de ma protection, dans ma cuisine, d’utiliser le couteau dans le bon sens, sans tenir la lame dans la main. Evidemment, sans obligation/sanction, impossible pour moi de me soucier de ma sécurité. Vivement un texte m’imposant le port du pull en hiver pour éviter le rhume !
Plus sérieusement, il serait selon moi beaucoup plus pertinent d’inciter les usagers à s’équiper correctement en les motivant par le biais d’une baisse de la TVA sur les équipements de sécurité par exemple. Une mesure réclamée de longue date par la FFMC et le CNPA (Conseil National des Professions de l’Automobile), qui pousserait également à renouveler plus fréquemment son équipement.
Une incitation qui pourrait également être appuyée par davantage de communication sur le sujet, et non de façon aussi sporadique ou confidentielle que tout ce qui a été fait sur le sujet jusqu’à maintenant, et à condition bien entendu que ce soit fait de façon intelligente, sans infantiliser ni effrayer…
Formatage des esprits
Et le pire dans tout ça est que d’une certaine manière, l’esprit collectif a été complètement formaté par des années de contrôle-sanction. Il suffit de poser ce genre de question à un élève conducteur, pourtant encore étranger à ce système, pour s’en convaincre :
Exemple de question/réponse pendant un cours :
Moi : Tu vois, à partir de là, ta vitesse sera limitée à 50km/h. Pourquoi la respecter ?
Élève : Bah parce-qu’il peut y avoir un policier caché après, qui va me mettre une amende si je roule trop vite.
Et je peux vous dire que c’est le genre de réponse obtenue 4 fois sur 5.
Pourquoi y a t-il une limitation ? En raison du virage.
Pourquoi la respecter ? pour éviter une perte de contrôle, en raison du caractère dangereux du virage.
Non, tout ceci est complètement oublié, obnubilé par la peur de la sanction. Une limitation, une obligation ou interdiction, tout cela n’a plus vraiment de sens si on oublie la raison d’être de ces règles. Et on retrouve la même logique pour tous les sujets, même pendant le code, qui insiste tout particulièrement sur… les sanctions.
Pourquoi ne pas boire d’alcool ? Non, ce n’est pas juste pour ne pas perdre ton permis…
Et je passe sur l’impossibilité d’apporter une vraie explication logique à l’élève qui demande pourquoi il aura le droit de boire un verre après avoir terminer sa période probatoire…
Nous sommes de plus en plus encadrés par les règles, au point d’y obéir bêtement, prenant de moins en moins la peine d’analyser la situation. Je ne compte plus le nombre de fois où j’ai dû freiner un élève voulant s’engager dans une intersection encombrée, celui-ci invoquant le fait « d’avoir la priorité ». Priorité certes, mais pas absolue et qui doit être adaptée selon le contexte. Une capacité de réflexion souvent reléguée au second plan, sacrifiée au profit de l’application « de la règle ».
Il est alors très intéressant de tirer des conclusions de certaines expérimentations, telle que celle réalisée aux Pays-Bas dans la ville de Drachten, par l’ingénieur urbaniste Hans Monderman. Celui-ci a proposé la suppression complète de la signalisation routière sur un important carrefour accidentogène, fréquenté par plus de 20000 véhicules par jour. Plus de panneau, plus de signalisation horizontale, plus de feu. Il s’agit du concept dit de « Route nue« .
Quelques années plus tard, le résultat est sans appel : Le nombre d’accident s’est considérablement réduit (seulement 2 en 2004 et 2005), les usagers devant à nouveau prendre garde aux autres, la vitesse dans l’intersection a diminué et la fluidité du trafic s’est améliorée. Mieux encore, on observe alors que les usagers se comportent de façon plus civilisé et réapprennent à communiquer entre eux : appel de phares, communication manuelle avec les piétons, etc… Enfin le rapport de force entre les usagers s’inverse complètement, en raison de la prise en compte du risque et de la fragilité des piétons ou deux roues.
Plusieurs villes au Royaume-Uni, en Allemagne, au Danemark, en Australie et en Belgique expérimentent depuis ce même concept, avec les mêmes résultats spectaculaires, allant jusqu’à diviser par 10 le nombre d’accident !
La France et l’absence de vraie formation continue
Alors que la formation à la conduite devrait se poursuivre pendant toute la vie du conducteur, l’état renonce actuellement à toute forme de réel continuum éducatif, pourtant recommandé par les experts de la formation lors des précédents CNSR (dont j’avais déjà parlé dans les articles sur le Permis A2 et celui sur la piste en tant que solution de sécurité routière). Aujourd’hui, un élève se prépare davantage à simplement passer le permis, en tant qu’examen unique de 32 minutes, plutôt qu’à devenir un conducteur pendant toute sa vie.
Pourtant absolument nécessaire en raison de l’évolution permanente de l’environnement de conduite (Véhicules, législation…), il n’existe aucun dispositif de formation continue dans l’apprentissage de la conduite une fois l’épreuve du permis passée.
Entre le permis A2 dont la période de 2 ans ne tient pas compte pas compte de l’expérience réelle de conduite et l’absence totale de progressivité dans les autres catégories, on est particulièrement gâté.
Pourtant les idées ne manquent pas ! Certaines pistes sont d’ailleurs abordées sur le site du gouvernement lui-même, comme les formations post-permis dont j’avais déjà parlées, mais malheureusement bien trop rarement mises en oeuvre, faute d’incitation réelle.
La question de la formation / sensibilisation à la sécurité routière au sein du milieu scolaire est également évoquée : Outre l’ASSR (Attestation Scolaire de Sécurité Routière), le « permis piéton » et le « permis cycliste enfant » sont abordés, tous deux passés pendant le cycle primaire, en CE2.
De bons concepts dans l’absolu, mais uniquement réservés aux plus jeunes.
Passé l’ASSR, je pense qu’il est tout à fait regrettable de ne pas voir l’état exprimer une volonté plus forte d’introduire une vraie initiation à la conduite vers le milieu du cycle secondaire (alors que l’apprentissage anticipé de la conduite, ou « conduite accompagnée » est désormais possible à partir de 15 ans). En effet inutile de préciser l’importance du permis de conduire pour trouver du travail, qui plus est en dehors des grandes métropoles. Autant que l’obtention d’un quelconque diplôme, le permis de conduire est une nécessité pour entrer le monde actif.
Et pourtant tous les jeunes ne sont pas égaux devant l’accessibilité à la formation à la conduite. A un peu moins de 1500€ en moyenne (étude Prévention Routière, 2013), il est évident que certaines familles ne peuvent se permettre cette dépense.
Et c’est sans parler de l’éventuel avantage en terme d’expérience que peut apporter une formation AAC (Apprentissage Anticipé à la Conduite), encore un peu plus coûteuse.
C’est pourquoi il pourrait selon moi être judicieux de créer une vraie « pré-formation » à la conduite, distillée en plusieurs modules pendant les années de lycée, apportant par la même occasion un vrai plus d’un point de vue sécurité.
Une formation dispensée par des professionnels, débarrassée de l’aspect financier liée à la formation classique en auto-école, où les heures sont comptées en raison de leur coût… au détriment de la qualité de la formation. Une intégration au cursus scolaire qui permettrait d’aborder des aspects de la conduite pourtant prévus au programme (contenu dans le programme officiel, le REMC, Référentiel pour l’Education à une Mobilité Citoyenne) et souvent à peine évoqués comme le partage de la route et les différents usagers, la technique des véhicules, les comportements à risque…
On pourrait même imaginer la réalisation d’ateliers permettant d’étayer des notions souvent très théoriques comme l’importance du temps de réaction, ou encore permettant de s’essayer le temps de quelques heures à d’autres modes de transports, comme la moto et vélo, ce qui permettrait de se rendre compte des difficultés rencontrées par chacun, de manière à aboutir à un vrai partage de la route, basé sur un respect mutuel de chacun des modes de transport. Car bien souvent on nous parle de nous mettre à la place des autres usagers… mais dans quelle mesure est-ce réellement envisageable pour celui qui n’a jamais eu l’occasion de réellement expérimenter par lui-même cette situation ?
On pourrait facilement imaginer des sorties à l’image de celles qu’organisent la FFMC, les opérations « Motard d’un jour« , souvent riches d’enseignement pour les élus, mais cette fois-ci à l’attention des lycéens.
Une idée saugrenue ? Pas tant que ça… En proposant ce qui passe pour un divertissement, on transmet des notions précises en passant par un apprentissage implicite, tel que le respect des règles mais aussi le respect d’une autre catégorie d’usager, minoritaire, dont l’image est souvent peu reluisante, basée sur de nombreux clichés.
Expérimentation, partage avec les conducteurs invités… Il suffirait d’une simple heure dans tout le cursus scolaire pour probablement mettre un terme à beaucoup d’aprioris, ce qui permettrait à terme une meilleure compréhension de cette frange d’usagers, et une fois le permis en poche, de mettre en place de façon durable un meilleur partage de la route, basé sur une compréhension mutuelle !
Ce genre d’idée pourrait facilement être décliné à loisir pour les autres catégories, en invitant à chaque fois des bénévoles issus d’associations, qui se feraient probablement un réel plaisir de partager leur expérience.
Mais en ces temps où sont mises en avant les auto-écoles low-cost aux formations bradées, les apprentissages sans moniteurs (!) via la location de véhicules à double commandes et le code passé dans un bureau de La Poste ou laissé à des sociétés privées (sous l’impulsion du ministre de l’économie et des finances Emmanuel Macron, voir article du magazine Challenge du 5 Juin 2016), il paraît illusoire de penser que le gouvernement privilégiera à nouveau un jour la pédagogie, la qualité et l’accessibilité de la formation, sacrifiés sur l’autel de la libéralisation et de la relance économique.
A mon humble avis, ce n’est certainement pas en sacrifiant ainsi une formation dont dépend la sécurité de chacun que la promesse de passer sous la barre du nombre de 2000 tués sur les routes sera respectée…
Cedric, je te félicite pour cet article, qui comme à chaque fois fait mouche dans notre esprit, tellement il soulève des problèmes que l’on ne voit plus ou que l’on ne veut plus voir. Je ne connaissais pas les carrefours sans signalisations façon Pays Bas et je dois dire que j’aimerais beaucoup voir ca dans notre exagone. J’espère sincèrement que cet article comme les autres d’ailleurs frappera à la porte de nos chers dirigeants afin qu’ils prennent conscience de l’ampleur de leurs erreurs, ou de la difficile de la tâche à définir et à réaliser en matière de prévention et de sécurité routière des 2 roues. On a besoin de personne comme toi Cedric pour nous faire comprendre et leur faire comprendre l’ampleur et les difficultés rencontrées quotidiennement sur nos routes. MERCI.
Merci à toi d’être un de mes lecteurs les plus fidèles !
Ah ça, si seulement certains de mes articles pouvaient inspirer un tout petit peu les responsables des hautes sphères, je serais comblé 😉
A mon humble avis, la formation à la sécurité routière est largement sous estimée en France, où on préfère le bâton à la carotte.
Ce pays du permis à vie, dans lequel aucun responsable n’osera probablement jamais fâcher le large électorat que représente les automobilistes en les obligeant à se remettre en question. C’est d’autant plus dommage que si la-dite remise en cause / évolution des mentalité est proposée de façon intelligente (et non punitive, cf l’article sur la piste), les conducteurs sont généralement tout à fait disposés à s’améliorer en suivant d’eux même formations et ateliers.
Autre exemple, de mon côté je vois bien comment 3/4 des participants aux journées de récupérations de points prenne cette formation comme une véritable punition en y arrivant.
Dommage, car il s’agit souvent de stages bien foutus sur le plan pédagogique et très instructifs. Mais voilà, en France ce stage n’est perçu presque exclusivement que comme une sanction (ce qu’il est d’ailleurs quand il est imposé par les pouvoirs public ou quand le nombre de point devient critique). Alors que si ce même stage, avec le même contenu (et si tout ou partie était pris en charge par l’état côté tarif) faisait parti du continuum éducatif dont je parlais plus haut et non plus d’une « contrainte », il y a fort à parier que ce serait beaucoup plus enrichissant d’un point de vue « sécurité routière » à proprement parler.
Une fois encore, difficile de passer un message constructif quand les gens pensent être punis.
Il s’agit juste d’un exemple, mais qui démontre bien le problème « d’emballage » dont fait preuve ce système de formation, comme le reste de la formation à la conduite actuellement… Cher et perçu comme une contrainte pourtant nécessaire, le passage du permis et les formations post-permis pourrait pourtant être au moins partiellement financés par les recettes des radars par exemple. Mais on peut toujours rêver.
Excellent article comme d’habitude.
Il faudrait surtout faire repasser le permis aux personnes qui ont le permis depuis 10 ans et plus, histoire de leur rappeler les fondamentaux. Cette formation serait financée par les amendes et utiliserait les locaux des stages de récupération de points.
Ainsi, aucun frais pour le consommateur ni pour l’état, et l’infrastructure existe déjà.
Ce serait déjà un bon début.
Ensuite ajouter à cette formation une sensibilisation aux 2 roues avec pourquoi pas manipulations + quelques tours de roues en terrain fermé, avec pourquoi pas le soutien d’une moto-école pour le prêt du terrain et de la moto. Ainsi les automobilistes se rendraient plus facilement compte de ce qu’est une moto et comment on la manipule.
Bref il y aurait plein de solutions mais bon il ne faut pas rêver…