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Motards, constructeurs et mécanique

Depuis plus d’une décennie, entre la course à la performance, des assistances toujours plus présentes et l’obligation de se conformer à des normes anti-pollution toujours plus drastiques, l’industrie de la moto a intégré de plus en plus d’électronique à bord de nos deux roues. Des motos modernes bardées d’électronique donc, à la mécanique rendue toujours plus complexe en échange d’un fonctionnement optimal malgré les variations des conditions de roulage, équipées d’assistances en tout genre : Freinage, contrôle de traction, suspensions actives… Des conditions mesurées par d’innombrables capteurs, de plus en plus nombreux au fil des années et de l’évolution des normes.

Cette multitude d’éléments a plus tard entraîné le multiplexage des signaux et de fait, la complexité des échanges de données entre ces éléments. A l’instar de l’automobile, la moto moderne fait aujourd’hui souvent appel aux réseaux CAN (Controller Area Network) par nécessité, mais respecte ses normes de façon bien plus aléatoire. Alors que la législation européenne impose aux constructeurs automobiles l’implémentation de la norme OBD (Directive Européenne 98/69/CE) afin de laisser les moyens aux professionnels hors réseaux de pouvoir faire un diagnostic du véhicule au titre de la libre concurrence, sans perte de garantie (après avoit tout fait pour éviter cette situation : voir article du site « LePoint.fr », Juin 2014), il n’existe pas (encore) de telle obligation envers les constructeurs de motocycles.

Ainsi la majorité de ceux-ci fait appel à des protocoles customisés et/ou à des codes spécifiques à la marque, réduisant fortement la possibilité de faire appel aux services du garagiste du coin pour effectuer les révisions et réparations, ou tout du moins en compliquant sérieusement la tâche. Et pour le propriétaire qui souhaiterait réaliser ces opérations lui-même, c’est bien souvent mission impossible.

Et quid de la disponibilité de ces différents composants à l’avenir ? Quand on voit que le compteur kilométrique des Ducati récentes (~10 dernières années) « bloque » à 100.000km et impose un changement, la question de l’obsolescence programmée dans la moto peut sérieusement se poser… Nous retrouverons-nous un jour à devoir changer une moto de quelques dizaines d’années à cause d’un tableau de bord introuvable, pourtant encore en bon état  ?

Chère information

Ensuite il est un tout autre problème, et non des moindres, celui de la rétention des informations techniques par les constructeurs. D’un côté les manuels d’ateliers sont farouchement gardés (maintenant souvent dématérialisés et disponibles « en ligne » pour les mécaniciens de la concession), et de l’autre, les RMT (Revue Moto Technique, une référence depuis de nombreuses années) ne sont disponibles que pour les modèles très répandus.
De la procédure à respecter pour une vidange ou le couple de serrage d’une vis, il existe aujourd’hui un vrai problème d’accès à l’information technique pour les motos récentes, voulu par les constructeur, notamment en vue de refaire passer leur client de la manière la plus régulière possible en atelier.

Et que dire de la maintenance électronique, où maintenant tout est trop bien souvent complètement « verrouillé » ?
Ainsi pour avoir la simple définition d’un code d’erreur, provoqué parfois par un simple connecteur ayant pris un peu de jeu au fil des kilomètres, il faudra souvent se délester de plusieurs dizaines d’euros si votre machine n’est plus sous garantie et/ou en fonction de votre « affinité » avec le concessionnaire. De même réinitialiser le rappel de maintenance après une simple vidange, souvent envahissant sur le tableau de bord de certaines machines une fois l’échéance atteinte, ne pourra être réalisé que par un concessionnaire agréé.

Vous souhaitiez, dans un soucis d’économie ou par passion pour la mécanique, faire vous même votre entretien ? Entre la difficulté à obtenir les informations nécessaires et la quasi-obligation de faire recours à un atelier du réseau du constructeur pour un simple témoin, c’est aujourd’hui de plus en plus difficile, surtout sur les modèles les plus récents. Il en va de même pour une réparation suite à une panne d’un des composants, problématique quand on ne peut pas procéder à un diagnostic précis, faute de définition d’un code erreur (quand celui-ci est affiché).

Des alternatives existent, comme les manuels d’ateliers qui finissent souvent par se retrouver sur les forums… en toute illégalité. Pour les opérations les plus « génériques », la presse spécialisée publie fréquemment d’excellents hors-série, comme par exemple celui de MotoMag, disponible ici.

Concernant la partie électronique, les plus éclairés pourront avoir recours, en fonction de la marque et du modèle de la moto, à des logiciels comme TuneEcu ( Triumph, KTM, Ducati, Guzzi… Gratuit ou 9.99 sous Android selon la moto) ou JPDiag (Ducati, MV, Moto Marini, guzzi… Gratuit) par exemple. Il existe également des systèmes d’interfaces PC tel que le Centurion de TechnoResearch (Harley, Buell, Victory, Indian…) ou encore des systèmes autonomes comme le RexXer de Daniele-Moto (Aprilia, BMW, KTM, Ducati, Suzuki, Triumph, etc…), évidemment plus onéreux.
Ces applications ou appareils prennent souvent quelques mois ou années avant d’être pleinement compatibles avec une moto récente, tout du moins une moto partant d’une base électronique nouvelle, en raison de la complexité grandissante des systèmes embarqués et de la difficulté à analyser comment dialogue le véhicule.
Ces dispositifs permettent le diagnostic de la moto, mais aussi bien plus, comme l’accès à de nombreux paramètres ou à la cartographie.

Motos « premium » et entretien

Relation de cause à effet, le motard moderne rechigne de plus en plus à faire lui-même sa mécanique. Et c’est d’autant plus vrai concernant la clientèle des marques « premium » comme Ducati ou BMW par exemple, qui est la première à laisser la maintenance complète sa machine aux concessions. Ces mêmes concessions où le coût de l’heure de main d’oeuvre peut parfois être complètement exorbitant.
Ces marques l’ont bien compris et, ça en est une belle démonstration, les manuels d’utilisateur se sont progressivement vidés de la quasi-intégralité de leur contenu technique ces quinze dernières années. Là où le manuel du Monster 900 (2001) indiquait comment changer le filtre à air ou vérifier ses bougies, le manuel d’un Diavel (2011) dit de se rendre impérativement en concession pour procéder à la tension de chaîne (!) ou au moment de changer d’une ampoule.


Je constate ainsi que dans les forums où je poste de temps à autres des guides pour réaliser ces opérations soi-même, de la façon la plus détaillée possible, ceux-ci n’intéressent au final que relativement peu de personnes… Comme quoi même pour un simple opération courante comme la tension ou le graissage de la chaîne (vous avez bien lu, pour un graissage !), une majorité des propriétaires de ces machines se tourne vers leurs concessions. Inquiétant ? D’ici quelques années, faudra t-il un rendez-vous en atelier pour faire le plein à notre place ?
Dans un même temps, ces marques tentent depuis quelques années un vrai virage vers le monde du « luxe », comme Ducati depuis sa reprise par le groupe Audi (Article du magazine « Challenge », avril 2012). On peut alors se risquer à un parallèle intéressant avec l’automobile : un propriétaire de Lamborghini (groupe Audi également) fera-t-il lui-même l’appoint de son liquide lave glace ?


On pourrait bien se dire que ces clients fortunés, au final, font ce qu’ils veulent de leur argent, et que c’est tant mieux pour les concessions… Mais le problème est que Ducati aimerait bien faire aussi changer la mentalité des « autres », ces anciens aficionados de la marque de Bologne, clients de Ducati depuis plusieurs décennies et opposés à ce changement de cap. Il existe actuellement une grogne qui monte à l’encontre du constructeur, souvent relatée dans les courriers des lecteurs de magazines spécialisés comme « Desmo ».
Passionnés de mécanique et de la marque en elle-même, certains de ces clients ont le sentiment d’avoir été abandonnés depuis le rachat du groupe. Un sentiment qui se confirme à chaque nouvelle machine présentée, souvent hors de prix en raison du placement « premium » voulu par Audi, et surtout tellement éloignée de l’esprit des années 90/2000 de la marque qu’ils affectionnaient tant, composé de machines de caractère, mécaniquement et financièrement relativement accessibles.

Pour illustrer ces propos, des machines comme la ST2 reviennent souvent dans les conversations. Aujourd’hui pour Ducati, le « bon client » est celui qui revient souvent, achète toujours une machine neuve (avec un maximum d’options) qu’il changera après 3 ans, et surtout sur laquelle il ne fera jamais rien lui-même, faisant appel systématiquement à l’atelier à la moindre intervention, si simple soit-elle. Et bien entendu il fera effectuer en réseau l’entretien conforme au programme, avec au minimum une révision annuelle, même si sa machine a très peu roulé. Sous peine de perte de la garantie.

Vous l’aurez compris, je cite Ducati en connaissance de cause, mais d’après les messages que certains m’ont envoyé sur les réseaux, bien d’autres constructeurs se conforment dorénavant à cette politique. Et ceux qui étaient encore relativement épargnés par ce phénomène (Yamaha, Honda, kawasaki…) tendent à adopter le même modèle.

Des motards de plus en plus éloignés de la mécanique de leur machine

Outre un éventuel défaut de connaissance techniques, et ce malgré l’accès moderne à l’information (web, forum…) et la « dissuasion » pratiquée par les constructeurs que j’ai évoquée plus haut, mêmes les tâches les plus simples (vidanges, plaquettes, ) ne sont plus réalisées par les propriétaires. Même les jeunes motards, souvent les plus concernés par l’aspect économique, s’attardent de moins en moins à l’entretien, même sommaire, de leur machine. Aujourd’hui, à de trop rares exceptions, seuls ceux ayant un réel impératif économique et les passionnés de mécanique s’attellent encore à la tâche.


Pourtant le bénéfice de faire soi-même l’entretien de sa moto n’est pas négligeable, ne serait-ce que d’un point de vue sécurité : En effet, la vérification périodique d’un mécanicien ne saurait prévenir d’un problème apparaissant sournoisement, par exemple l’usure prématurée engendrée par une chaîne détendue, ou encore l’irrégularité d’un freinage provoquée par un piston d’étrier bloqué, qui aurait pu être détecté par une simple vérification des plaquettes.
A moins de se rendre en concession toutes les semaines, un minimum de connaissance du fonctionnement de son véhicule peut s’avérer parfois salvateur, pour son porte-feuille (au moment d’accepter un devis de réparation par exemple) et pour soi-même ! De plus, cultiver sa culture mécanique est d’autant plus nécessaire à mon sens que les bases enseignées au permis (permis moto, vérifications techniques sur Yamaha XJ6) sont dans l’absolu, insuffisantes. Même la vérification d’un élément primordial comme les plaquettes de frein est complètement ignorée dans le programme officiel. C’est dire. Heureusement que certains enseignants vont plus loin !

Enfin, et c’est peut-être le côté le plus regrettable, on assiste à petit feu à la perte de l’aspect « loisir » de la mécanique homemade.
Il y a peu il s’agissait d’un trait propre à la moto, on apprenait à entretenir et customiser sa machine avec les amis…
Des habitudes qu’on prenait souvent dès l’adolescence, en bricolant sa mob ou celles des copains le soir après les cours, et qui se perpétuaient une fois le permis moto en poche. Serait-ce un effet collatéral de la perte d’intérêt des adolescents pour les petites cylindrées depuis une dizaine d’année, notamment en raison des récentes réformes ayant successivement compliqué l’accès à la conduite des 49.9cc ? (marché en chute libre, -11.5% en 2015)
Un des plus grands concessionnaire de cyclomoteurs situé dans la ville de Lens où j’habitais il y a peu, disait dans un journal local : « Les adolescents ne sortent plus, rivés sur leurs ordinateurs ou téléphones, très peu se réunissent encore autour de la passion du cyclo« .
Sa première boutique, présente dans le centre ville depuis plus de 50 ans a dû fermer il y a quelques années. Pour la seconde, la question se pose toujours…

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